La traite des hommes à des fins d’exploitation sexuelle

Bien que la traite des personnes à des fins d’exploitation sexuelle puisse toucher n’importe qui quelle que soit son identité sexuelle, les informations sur ce crime ne tiennent trop souvent pas compte de cette réalité. Les recherches et les informations existantes sur la traite des personnes à des fins d’exploitation sexuelle se concentrent de manière disproportionnée et parfois exclusive sur les expériences des femmes, laissant les victimes et les survivants masculins hors des discussions. Par ailleurs, lorsque les hommes et les garçons sont inclus, la conversation porte généralement sur la manière d’agir afin d’éviter qu’ils ne deviennent pas les auteurs de violence et de traite des personnes. Bien qu’il s’agisse d’une conversation importante à explorer, si le seul récit est celui des hommes en tant que coupables, nous risquons d’amplifier les obstacles à l’identification et au soutien des victimes et des survivants masculins.

* Cet article se concentre principalement sur les expériences des hommes et des femmes cisgenres. Nous reconnaissons que les personnes transgenres et non binaires sont également victimes de la traite à des fins d’exploitation sexuelle, mais leurs expériences diffèrent et elles ont souvent leurs propres obstacles à surmonter avant de dénoncer leur exploitation et de demander de l’aide, lesquels seront abordés plus en détail dans de prochains articles de blog.

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Malheureusement, le nombre de victimes masculines de la traite à des fins d’exploitation sexuelle au Canada fait l’objet de recherches très peu nombreuses et souvent controversées. Malgré cela, en examinant les statistiques sur les agressions et les abus sexuels, on peut avoir accès à des données sur les violences sexuelles perpétrées contre les hommes. Par exemple, l’Association of Alberta Sexual Assault Centres écrit que “la plupart des recherches suggèrent que 10 à 20 % des hommes seront victimes d’une forme d’abus ou d’agression sexuelle à un moment ou à un autre de leur vie“, tandis que le gouvernement de l’Ontario fait écho à cette déclaration en disant que ce nombre est “d’environ un sur six“, et que d’autres études suggèrent que ce nombre pourrait être encore plus élevé. Bien que les abus et agressions sexuels ne soient qu’un aspect de la traite des personnes à des fins d’exploitation sexuelle, et qu’il ne faille pas confondre les deux, ces chiffres ne devraient pas non plus être négligés.

Malgré le manque de données fiables sur la traite des hommes à des fins d’exploitation sexuelle au Canada, la majorité des recherches, des organisations et des groupes de défense s’accordent sur le fait que la violence sexuelle [y compris la traite des personnes à des fins d’exploitation sexuelle] perpétrée contre les hommes est largement sous-signalée. Cette idée est renforcée par un rapport de 2008 sur l’exploitation sexuelle commerciale des enfants [ESEC] aux États-Unis, dans lequel 249 jeunes impliqués dans l’industrie du sexe commercial avant l’âge de 18 ans ont été interrogés. Étant donné que 45 % des personnes interrogées étaient des hommes, les auteurs ont conclu que “bien qu’il soit probable que la plupart des jeunes victimes de l’ESEC soient des jeunes femmes, les données recueillies dans cette étude suggèrent qu’il existe également une population masculine importante, en particulier dans le quartier de Manhattan”. [1]Sur base des résultats de cette étude, on peut penser que ces observations pourraient également s’appliquer au Canada.

L’examen des recherches disponibles donne également un aperçu intéressant des défis psychologiques auxquels sont confrontés les hommes victimes et survivants. Par exemple, bien qu’ils soient confrontés à un traumatisme important résultant de l’exploitation sexuelle, des études indiquent que les hommes attendent souvent beaucoup plus longtemps que les femmes pour dénoncer la violence sexuelle et solliciter de l’aide. Cette différence peut s’expliquer par les obstacles uniques spécifiques aux hommes et aux garçons qui souhaitent divulguer leur situation d’exploitation sexuelle et de traite de la personne, ou même être identifiés comme victimes de la traite, notamment,

 

  • Un manque d’éducation et de sensibilisation que les hommes peuvent être victimes de ce crime : Les programmes de formation sur la traite des personnes sont souvent basés uniquement sur les récits de victimes féminines. En conséquence, les membres de la communauté, les soignants et les professionnels qui les aident sont moins susceptibles de reconnaître les signes de la traite des personnes et de l’exploitation lorsqu’ils interagissent avec un survivant masculin. Ils sont également moins enclins à poser des questions sur les violences sexuelles. De plus, si les conversations sur la violence sexuelle ne présentent que le récit d’une victime féminine, il convient de se demander si un homme serait capable de voir son expérience sous cet angle et de se sentir libre de dire : “Attendez, c’est ce qui m’arrive [ou qui m’est arrivé]”.
  • Perceptions de la masculinité : Les jeunes hommes sont souvent exposés aux notions traditionnelles de ce que signifie « être un homme ». Cependant, ces récits sont souvent limités et largement axés sur la création et le maintien du pouvoir, ce qui ne laisse que peu ou pas de place à la dénonciation de l’exploitation sexuelle ou des comportements consistant à solliciter de l’aide. De plus, les récits sur la masculinité peuvent inclure des messages homophobes, stéréotypés et/ou négatifs sur les relations entre personnes du même sexe. Si un homme a été exploité par d’autres hommes, comme c’est souvent le cas, la honte, la peur et la confusion qui l’empêchent de s’exprimer peuvent s’accroître.
  • L’absence d’autres options : Tout comme les femmes, les hommes peuvent aussi faire le choix difficile de rester dans une situation d’exploitation ou de participer au travail du sexe pour assurer leur survie (par example un logement, de la nourriture, etc.)
  • Des services limités équipés pour répondre aux besoins des victimes et des survivants masculins : Si un homme décide de dénoncer son exploitation sexuelle, il bénéficie souvent de services limités, équipés pour répondre à ses besoins. Bien que des progrès doivent encore être réalisés dans ce domaine, il existe actuellement un petit nombre de fournisseurs de services dont les programmes sont spécifiquement axés sur le soutien aux hommes victimes d’exploitation sexuelle. Parmi ces services, on peut citer le Men’s Resource Centre of Manitoba, le Men’s Trauma Centre en Colombie-Britannique, SHASE à Sherbrooke au Québec et le programme The Support Services for Male Survivors of Sexual Abuse en Ontario. Malheureusement, ces services ont souvent de longues listes d’attente et sont localisés dans une communauté ou une juridiction spécifique. De plus, certains services disposent d’un financement pour un nombre fixe de séances de consultation qui ne sont pas adaptées aux réalités de la prise en charge des traumatismes à long terme.

Il est possible de travailler à la déconstruction de ces barrières systémiques afin de trouver des moyens d’aider les hommes victimes/survivants. Voici quelques mesures que les membres de la communauté, les proches et les fournisseurs de services peuvent prendre pour s’assurer que le soutien nécessaire est disponible :

  • Plaider en faveur de financements permettant de fournir des services équipés pour répondre aux besoins spécifiques des victimes et des survivants masculins sans diminuer ou minimiser la nécessité des services de lutte contre la violence à l’égard des femmes.
  • Diversifier et remettre en cause le discours sur la traite des personnes à des fins d’exploitation sexuelle pour y inclure les hommes et les garçons.
  • Offrir un lieu sûr où les hommes peuvent partager leurs histoires de violence ou d’abus, à leur propre rythme, et où ils sont crus et acceptés.
  • Plaider pour un logement sûr. Peu importe le sexe de l’individu, le manque d’accès à un logement sûr augmente le risque qu’un jeune soit victime de la traite à des fins d’exploitation sexuelle.
  • Mettre constamment en cause ses propres actions et convictions, en défiant toute notion de préjugé qui pourrait amener à réagir de manière nuisible ou à ignorer les signes de violence sexuelle et/ou de traite des hommes.

[1] En lisant les statistiques des États-Unis, il est important de noter que si un individu est âgé de moins de 18 ans et travaille dans l’industrie du sexe commercial, que ce soit par choix, circonstance ou contrainte, il s’agit de la traite des personnes. Aucune tierce partie n’est requise.

 

Ressources additionnelles

 

Sources:

Cook. J., & Ellis, A. (2020). The Other #MeToo: Male Sexual Abuse Survivors. Psychiatric Times.