Le 6 juin 2022, Julia Drydyk, directrice générale du Centre canadien pour mettre fin à la traite des personnes, a témoigné devant le Comité sénatorial permanent des droits de la personne au sujet des modifications proposées au Code criminel du Canada. Une disposition du Code criminel (art. 297.04(1)) exige que les tribunaux examinent si les circonstances pourraient raisonnablement amener une personne victime de la traite à « croire qu’un refus de sa part mettrait en danger sa sécurité ou celle d’une personne qu’elle connaît. »
Les recherches du Centre ont révélé que cette disposition a été appliquée de manière incohérente par les juges dans les affaires judiciaires canadiennes. Déterminer si quelqu’un aurait pu se soucier de son bien-être – ou de celui de ses proches – est entièrement subjectif et vulnérable aux préjugés, aux interprétations et aux idées fausses. En fait, l’inclusion de cette disposition a entraîné le non-lieu des accusations de traite dans certains cas.
Le Centre canadien pour mettre fin à la traite des personnes appuie la suppression de la disposition relative à la « crainte pour la sécurité » telle que proposée dans le projet de loi S-224, Loi modifiant le Code criminel (traite des personnes).
Le témoignage de Julia Drydyk devant le Comité sénatorial permanent, inclus ci-dessous, souligne pourquoi le Centre a adopté cette position importante :
Témoignage de Julia Drydyk, directrice exécutive du Centre canadien pour mettre fin à la traite des personnes, au Comité sénatorial permanent des droits de la personne, Sénat du Canada (le lundi 6 juin 2022 – 18:06:07 to 18:11:13):
J’aimerais remercier les membres du comité de m’accueillir aujourd’hui.
Le Centre canadien pour mettre fin à la traite des personnes est un organisme de bienfaisance national voué à mettre fin à tous les types de traite de personnes au Canada. Nous travaillons à provoquer des changements systémiques en collaborant et en travaillant avec divers intervenants pour faire progresser les pratiques exemplaires, partager les résultats de la recherche et éliminer les efforts en double à l’échelle du Canada.
En mai 2019, nous avons lancé la Ligne d’urgence canadienne contre la traite de personnes, un service confidentiel multilingue qui fonctionne 24 heures sur 24, sept jours sur sept, pour mettre les victimes et les survivants en contact avec les services sociaux ou les organismes d’application de la loi, s’ils le souhaitent.
Le Centre canadien pour mettre fin à la traite des personnes appuie le projet de loi S-224 et la suppression de l’exigence selon laquelle l’élément de peur est nécessaire pour démontrer aux tribunaux que la traite de personnes a lieu. Il s’agit en fait d’un changement très attendu à la définition actuelle de la traite de personnes dans le Code criminel du Canada.
Des accusations de traite ont été rejetées pas plus tard qu’en 2022 parce que les tribunaux n’ont pas été en mesure de prouver que la victime craignait pour sa sécurité ou celle d’une personne qu’elle connaît, mais il s’agissait pourtant de cas où des formes évidentes et systématiques d’exploitation avaient lieu au profit direct du trafiquant. Le retrait de la nécessité de prouver l’élément de la peur de la définition de la traite de personnes dans le Code criminel est beaucoup plus conforme à la réalité de la façon dont la traite de personnes se déroule au Canada. Ce serait une mesure modeste, mais importante, pour améliorer l’accès à la justice pour les victimes de la traite de personnes à des fins sexuelles et de la traite des travailleurs au Canada. Je dis que c’est un petit pas parce que sans formation obligatoire et fondée sur des données probantes dans l’ensemble de la magistrature, il est peu probable que nous obtiendrons les résultats que nous aimerions tous voir.
Malheureusement, il y a encore des préjugés au sein de la magistrature. La stigmatisation qui touche les personnes qui travaillent dans l’industrie du sexe commerciale, par choix ou par coercition, continue de donner une vision biaisée, ce qui contribue à ce taux incroyablement bas de poursuites pour les trafiquants.
Comme beaucoup d’entre vous le savent, certains groupes sont intentionnellement ciblés par les trafiquants parce que leurs besoins sociaux, physiques, économiques et leurs besoins de base ne sont pas satisfaits. Par conséquent, ces groupes sont surreprésentés parmi les victimes de la traite de personnes. Ces groupes comprennent les communautés autochtones, noires, racialisées et LGTBQI+, ainsi que les personnes vivant dans la pauvreté et celles qui sont mal logées ou logées de façon précaire.
Depuis toujours, ces groupes sont victimes de discrimination et de mauvais traitements de la part des institutions mêmes qui sont censées les protéger. Nous savons que nous avons du travail à faire pour veiller à ce que le racisme, le colonialisme et l’oppression systémiques soient exclus de nos institutions policières et judiciaires.
Si l’on ne tient pas compte de la façon dont l’iniquité se reproduit dans nos institutions publiques, le changement proposé à la loi ne fera qu’effleurer la surface sans s’attaquer aux causes profondes de cette forme grossière et extrême d’exploitation au Canada.
Le Centre canadien pour mettre fin à la traite des personnes lance actuellement une série de projets de recherche et de défense des droits afin de mieux comprendre les causes profondes de la traite de personnes. J’aimerais pouvoir dire qu’il y a une solution simple, mais si nous voulons vraiment mettre fin à la traite de personnes au Canada, nous devons adopter une approche à plusieurs volets. Nous devons examiner les lacunes dans l’accès aux perspectives d’avenir qui rendent possible ce type de manipulation sociale et psychologique ciblée. Nous devons examiner de nouvelles façons audacieuses d’uniformiser les règles du jeu et d’offrir une justice sociale, économique et juridique à tous les Canadiens, ce qui pourrait comprendre un revenu de base et une refonte complète de nos systèmes de protection de l’enfance. Et nous devons commencer à agir avec détermination pour une véritable réconciliation et nous attaquer aux systèmes coloniaux qui continuent d’opprimer les collectivités autochtones partout au Canada.
Je sais que cela peut sembler accablant, mais je crois fermement que des changements sociaux audacieux sont nécessaires pour réaliser des progrès significatifs afin de s’attaquer aux causes profondes de la traite de personnes au Canada. Nous espérons qu’il y aura un véritable leadership pour favoriser les systèmes à long terme et le changement social, de sorte que la prochaine génération, espérons-le, n’aura pas à se renseigner sur les signes d’exploitation sexuelle et d’exploitation au travail ou à chercher des ressources alors qu’il est déjà trop tard.
En conclusion, je tiens à souligner que les survivants de la traite de personnes à des fins sexuelles sont souvent pris dans un continuum d’exploitation sexuelle et fondée sur le genre. J’exhorte également le comité à examiner les répercussions possibles pour les personnes qui sont victimes de la traite de personnes à des fins sexuelles et de la traite de personnes à des fins de travail. Il y a aussi les aspects sexospécifiques de la traite de personnes, surtout dans les secteurs des soins à domicile, des vêtements et de la fabrication, qui nécessitent des recherches supplémentaires.
Je tiens à dire que nous travaillons actuellement à mieux mobiliser ces communautés, car elles peuvent être difficiles à atteindre, mais les données empiriques que nous constatons sur le terrain laissent entendre que nous n’avons qu’une compréhension superficielle de l’ampleur et de la profondeur du trafic de main-d’œuvre au Canada.
Je vous remercie encore une fois de m’avoir invitée à comparaître. Je serai heureuse de répondre aux questions des membres du comité.
Regardez la vidéo complète de la réunion ici.
Comité sénatorial permanent des droits de la personne – le lundi 6 juin 2022
Vous pouvez lire les transcriptions révisées de la réunion sur le site Web du Sénat du Canada.